6220.- Histoire d’Haiti: Période Française

Classification Histoire et Société

 

L’établissement de la colonie française à Saint Domingue remonte aux années 1630 quand des flibustiers français, ces pirates de mer, transformèrent l’île de la Tortue en une sorte de repaire où ils déposaient leurs butins et d’où ils partaient pour leurs expéditions.

Peu à peu, ces corsaires fatigués de leurs dangereuses aventures s’établirent de façon permanente sur l’île en vivant désormais des produits de leur chasse qu’ils fumaient sur un grand brasier appelé boucan, d’où le nom de boucaniers qui leur sera plus tard attribué.

Certains de ces boucaniers, se transférant sur la terre ferme, se firent sédentaires en s’adonnant à la culture de la terre. Non commandités officiellement par la France, ils s’organisèrent eux-mêmes en choisissant des gouverneurs issus de leur rang. Cette présence française dans la partie occidentale de l’Hispaniola (voir: Période espagnole), alors colonie espagnole, resta officieuse jusqu’en 1664, quand Colbert, le ministre de Louis XIV, reconnut la présence de ses compatriotes dans l’île, entre-temps rebaptisée Saint Domingue, et faisant d’elle une colonie, l’incorpora à la Compagnie des Indes Occidentales, cette compagnie récemment fondée par Louis XIV (mai 1664), et qui reçut des droits exclusifs dans le domaine de la navigation et du commerce et les territoires de l’Amérique sur lesquels la France avait manifesté un certain intérêt.

Quand Bertrand d’Ogéron, le gouverneur nommé par la France à la suite de cette reconnaissance et incorporation arriva dans cette colonie, il se mit immédiatement à recenser les habitants et n’y trouva que quelques 400 hommes. Sous son administration, la population française augmenta considérablement, et Saint Domingue connu un développement si rapide qu’il excitait la jalousie et l’envie des Espagnols de la partie orientale. Cette jalousie et les rivalités entre la France et l’Espagne en Europe entraînaient de continuelles luttes entre les ressortissants des deux puissances dans la colonie du Nouveau-Monde. Le traité de Ryswick signé en 1697 mit fin à ces luttes, puisque l’Espagne avait reconnu le droit d’existence de la colonie française dans la partie de l’Ouest.

Entre-temps le Cap fut fondé (1670) devenant officiellement le Cap-Français et un port commercial de grande importance, ce, jusqu’à la fondation de Port-au-Prince en 1749. La ville de Fort-Liberté, appelée Bayaba sous les espagnols, fut rebaptisée Fort-Dauphin, devint un établissement militaire. L’administration et le gouvernement devinrent de plus en plus sophistiqués.

Carte du Cap-français
Carte de la ville de Cap-français devenue Cap-Haitien (date inconnue)

Parce que dévolue à l’exploitation agricole (canne à sucre, café, coton, cochenille, pâtures, etc.) , la nécessité d’une main d’oeuvre abondante et peu couteuse se fit sentir. Ainsi des milliers d’esclaves d’origine africaine furent importés, créant ainsi des rapports inégaux entre les différentes composantes sociales de cette colonie, avec les blancs jouissant de tous les droits et agissant en maîtres absolus, les affranchis ou hommes de couleur possédant seulement des privilèges octroyés par les blancs, et les esclaves traités comme des objets ou des propriétés de leurs maîtres. Ces derniers, représentants des plus grandes familles de la noblesse française, assuraient à eux seuls la rentabilité de Saint Domingue qui produisait la moitié de la production totale de toutes les colonies françaises.

Image: esclave au travail
Esclaves africains peinant dans les champs

La colonie était divisée, à la fin de 18è siècle, en trois régions (Le Nord, l’Ouest et le Sud), avec des villes le long des côtes; certaines servant de ports pour assurer le commerce avec la métropole.

Saint Domingue, placé alors sous l’autorité du ministre français de la marine, était administré par un militaire et un intendant civil. Chaque région avait à sa tête un commandant et la justice relevait des conseils de Port-au-Prince et du Cap-Français. Quand à l’ordre et la protection des biens, ils étaient assurés par des milices et la maréchaussée, appuyées par une garnison de trois régiments venant de la France.

Et arriva 1789, avec ses idées révolutionnaires basées sur les principes d’égalité et du respect des droits humains. Sous l’influence de ces idées, les affranchis mulâtres, d’abord commençaient par réclamer des droits égaux avec les colons blancs. Des pochettes de révoltes dans le Nord furent vite réprimées dans le sang avec la mise à mort de leur chefs Vincent Ogé et Jean-Baptiste Chavannes (‡ 25 février 1791). Dans l’Ouest, guidés par Beauvais, ils connurent un certain succès en sortant victorieux des colons français.

Ce succès et les idées révolutionnaires qui circulaient à Saint Domingue encouragèrent les esclaves noirs qui, conscients de leur état, se révoltaient à titre individuel dans le passé à travers le marronnage, le suicide, l’avortement, l’empoisonnement et autres ruses ou stratagèmes. Ainsi, après une cérémonie tenue au Bois-Caïman dans le Nord dans la nuit du 14 au 15 Août 1791 où les esclaves participants jurèrent de « vivre libres ou de mourir », ils entreprirent cette fois-ci une révolte générale, en prenant les armes contre les colons, leurs « maîtres », dont certains avaient épousé les principes de la révolutions sans toutefois renier l’esclavage et ses privilèges.

Assimilée d’abord à une lutte des oppressés contre les oppresseurs, la France post révolutionnaire envoya d’abord des « commissions civiles » dont les membres étaient chargés de résoudre dans la mesure du possible les problèmes liés au non-respect des droits civiques et politiques des groupes. Cependant la révolte prit de l’ampleur. Elle ne tarda pas à devenir d’abords un vaste mouvement de libération et d’autonomie une fois récupérée par des hommes de talent et possédant des qualités d’organisateur dont Toussaint Louverture, et une lutte pour l’indépendance ensuite. La publication de la Constitution de juillet 1801 en fut le premier signal.

L’intervention de la France sous la baguette du Napoléon Bonaparte fut beaucoup plus musclée. Elle essaya de refréner la course vers l’autonomie en envoyant l’expédition de 1802 dirigée par son beau frère Charles Victor-Emmanuel Leclerc qui aurait dû, après avoir isolé les chefs rebelles, reprendre les droits politiques des mulâtres et rétablir l’esclavage. Les mulâtres et affranchis comprirent que leur salut ne résidait que dans une alliance avec les noirs, anciens esclaves.

La guerre pour l’indépendance dura quelques mois, et avec la capitulation, en novembre 1803, de ce qui restait des troupes françaises, décimées par la maladie, tuées au cours des combats, Saint Domingue, cette île qui faisait la fierté et la richesse de la France au prix de la déshumanisation de toute une race devint indépendante et reprit son ancien nom indien « Haiti ». Les anciens esclaves noirs, les mulâtres nés pour la plupart du viol des femmes africaines par les colons blancs et à qui on avait refusé la jouissance des droits civils, jurèrent alors « à la postérité, à l’univers entier, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination » [Acte de l’Indépendance, §3].

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  3. De Wimpffen, Alexandre-Stanislas; Pluchon, Pierre. Haïti au XVIIIe siècle : richesse et esclavage dans une colonie française. Paris : Karthala, 1993
  4. Desnoyer Montes, Gérard. Haiti : de la découverte à la révolte des esclaves, 1492-1791. Montréal : Éditions SORHICA, 2001.
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  9. Ropa, Denis. Haïti, une colonie française, 1625-1802. Paris : Editions L’Harmattan, ©1993.
  10. Smartt Bell, Madison. Toussaint Louverture : a biography. New York : Vintage eBooks, [2010].
  11. Thibau, Jacques. Le Temps de Saint-Domingue : l’esclavage et la Révolution française. [Paris] : J.C. Lattès, 1989.
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Date de création: 29 mai 2005
Date de révision : 8 juillet 2023 à 22:13