Quand l’âme de tout un peuple s’évapore dans le brouillard de l’inconscient

Le carnaval haïtien
Un événement annuel non-négociable.
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Photo AP / Ariana Cubillos

Au début de chaque nouvel an, et ce, depuis plus de vingt ans, on se demande toujours si le carnaval haïtien aura lieu. Et il a toujours eu lieu.

Il a eu lieu en 1986, de 1992 à 1994, en 20041. Il semble que la période des carnavals est et demeure le seul moment de l’année où les Haïtiens de toutes les castes, de toutes les dénominations politiques, de tous les quartiers se donnent, acceptent et respectent une véritable trêve. Combien de fois on n’a pas pu célébrer la messe de Minuit à la Noël ou la vigile de Pâques à cause de l’absence de cette garantie, patente durant le carnaval!

Le lendemain ou les jours qui suivent, les passions referont surface, les destructions reprendront et des compatriotes seront tués par lâcheté, par peur, par cupidité ou simplement par complicité avec l’étranger. François Duvalier2, mieux que quiconque, avait compris l’importance de cette période et la paix éphémère3 qu’elle apporta, quand il institua un second temps de carnaval durant le printemps ou au début de l’été.?

  1. Le carnaval de 1986 débuta le 9 février soit deux jours après la fuite de Jean-Claude Duvalier. De 1992 à 1994 Haiti se retrouva sous les bottes des militaires à la suite d’un coup d’état. En 2004, une insurrection contre le président Aristide se répandit dans tout le Nord, et alors que les insurgés marchèrent sur Port-au-Prince, le carnaval se déroula du 22 au 24 février. Moins d’une semaine après, le président laissa inopinément le pays.
    Voir: profil de Jean-Bertrand Aristide
  2. François Duvalier (1907-1971), président d’Haiti de 1957 à 1971.
  3. Frankétienne [Éducateur, auteur Haitien de renommée internationale] voit dans cette paix, une conséquence de l’évaporation de notre inconscient:
    « Un char s’enlise dans la nuit.
    Et l’âme de tout un peuple s’évapore dans le brouillard de l’inconscient. »
    Fleurs d’insomnie: Spirale. Port-au-Prince: Editions Henri Deschamps, 1986; p. 59.