Le retour des Forces Armées d’Haiti, un impératif

Il y a près de 14 ans, les Forces Armées d’Haiti (FAD’H), cette institution remodelée durant l’occupation américaine et partiellement macoutisée durant les gouvernements des Duvalier, furent démantelées(1).

Revanche du président Jean-Bertrand Aristide 19 revenu d’exil, disaient certains. Il n’avait pas su pardonner l’état major de cette institution impliquée alors dans le coup d’état du 30 septembre 1991, et voulait s’en défaire pour éviter la répétition de nouveaux coups. En ceci, il eut l’aval tacite de certains personnages et organisations politiques; l’armée jugée selon eux trop puissante, trop engagée dans la politique, et par conséquent encombrante et extrêmement dangereuse pour les trois branches du pouvoir.

D’autres pensaient que l’armée avait finalement reçu son dû. Elle fut, proclamaient-ils, la seule responsable de sa disgrâce et de sa dissolution s’étant lancée dans des actions autodestructrices et refusant de se mettre à l’écoute d’un peuple qui ne cessait de proclamer haut et fort, depuis l’automne de l’année 1985, ses aspirations à la liberté.

D’autres analystes virent une troisième cause dans ce démantèlement. L’armée, à travers certains de ses membres, entretenait des relations trop étroites avec des bureaux d’intelligence de pays réputés pour leur ingérence dans les affaires d’Haiti. Ces bureaux semblaient identifier alors d’autres entités, dont des ONG et certaines plateformes politiques, capables et prêtes à remplir le même rôle à peu de frais et sans éclaboussures.

On peut toujours dire que les Haïtiens avaient de bonnes raisons de s’en prendre à l’armée. Toutefois, en prenant un certain recul et en observant le panorama social et politique du pays aujourd’hui, on peut toujours se demander si cette action avança la cause d’Haiti et le bien-être de son peuple.

Voyons un peu:

  • Le 17 décembre 2001, le gouvernement d’Aristide déjoua un coup d’état fomenté par des policiers. Les révoltés gardèrent le contrôle du palais pendant sept heures.
  • L’absence de l’armée n’a pas empêché le coup du 29 février 2004.
  • Loin de jouir d’une paix relative, le pays s’embourbe et assiste impuissant au massacre de ses enfants.
  • Pour assurer la sécurité d’un petit groupe, on semble accepter une occupation virtuelle par une force multinationale dont les membres s’intéressent peu à son épanouissement et à son développement.
  • L’armée, qui suscitait la peur, a disparu du panorama institutionnel d’Haiti; mais la peur persiste dans les esprits et cette fois, elle frôle la névrose. Hier, on craignait d’être arrêté quand on osait exprimer des opinions contraires; aujourd’hui on craint d’être kidnappé, mutilé violé et tué.
  • Le « déséquilibre profond entre les forces politiques existantes » mentionné par Kern Delice(2) et dont on imputait la responsabilité à l’armée « en raison de son appui aux forces conservatrices » est beaucoup plus palpant aujourd’hui. Pire, Haiti se retrouve dans une situation beaucoup plus vulnérable qu’auparavant au point de vue de l’intégrité de son territoire.

Pour ces raisons (et nos visiteurs trouveront, nous en sommes sûrs, bien d’autres), un retour des Forces Armées d’Haiti, non la création d’une gendarmerie(3), devient un impératif. Il nous suffit de bien le planifier ce retour, de choisir des hommes et des femmes aussi courageux que respectueux des lois, des patriotes pour intégrer cette nouvelle armée, et surtout de la mettre au service du développement à travers un corps de génie bien structuré. Et là encore, il serait naïf de penser que des dérives ne seraient plus possibles.

Une telle réalisation fera bien sûr pâtir le trésor public, mais le sacrifice vaut bien la peine, pour le pays… pour la patrie…

J.A.

  1. Chroniques d’une dissolution:
    • 6 janvier 1995: Création de la force de police nationale.
    • 25 janvier 1995: Le bâtiment abritant jusque là l’état major des FAD’H devint le siège du département à la condition féminine.
    • Juin 1996, les deux branches du parlement votèrent à quelques jours d’intervalle une résolution constatant l,Inexistence de l’armée.
    • 26 avril 1995: Les soldats reçurent l’ordre d’intégrer la force de police nouvellement créée.

    Les articles composant le titre XI de la constitution n’ont jamais été amendés.

  2. Armée et politique en Haïti. Paris : L’Harmattan, 1979; p. 140.
  3. La gendarmerie, telle que conçue dans les autres pays (France, Italie [appelée Carabinieri Force], les Etats-Unis [State Police]) est un corps de police specialisé couvrant une plus large juridiction et visant à endiguer les troubles internes.
    La gendarmerie créée par les Américains avaient pour mission de maintenir l’ordre et de protéger les intérêts de l’occupant.
  1. Armand, Pierre M. L’armée d’Haïti et les événements de 1957 : notes pour l’histoire. Port-au-Prince : SAMBA, 1989.
  2. ID. L’ armée d’Haïti, bourreau ou victime?. Port-au-Prince : Bibl. Nationale, 1997..
  3. Avril, Prosper. From glory to disgrace : the Haitian army, 1804-1994. [Parkland, Fla.] USA : Universal Publishers, 1999.
  4. Kern, Delice. Armée et politique en Haïti. Paris : L’Harmattan, 1979.
  5. ID. Les forces politiques en Haiti. Paris : Karthala, 1993.
  6. Laguerre, Michel S. The military and society in Haiti. Knoxville : University of Tennessee Press, 1993.
  7. Rébu, Himmler. L’armée dans l’oeil du cyclone. [Port-au-Prince] : s.n., 1994.