Gesner Armand, un créateur d’ambiance

Si doit être reconnu le mérite de cette exposition, je préciserai qu’elle met en lumière le caractère expérimental des oeuvres de l’artiste, certains dessins sont préparatoires à des tableaux bien connus, et nous permettent de pénétrer dans ce qu’on serait en droit d’appeler son laboratoire. À ce propos, je retiens quatre dessins : Colombes, un fusain, Tempête I et Tempête II, réalisés à l’encre de Chine, et Cumulo-nimbus II, un pastel. Chaque ligne est tracée à dessein, suivant une harmonie préétablie, mais redéfinie, par instants, pour construire le geste esthétique qui rythme le regard du spectateur dans les intervalles mélodieux des traits. En fait, Gesner Armand est un créateur d’ambiance graphique, un animateur de l’espace. Son oeuvre nous interpelle plus par sa facture, par l’élégance de sa touche, les adorables variations pigmentaires que par le sujet dont le peintre tacitement tait toute allure anecdotique. Tacitement, précisé-je, car le sujet se manifeste, mais discrètement. Ses intentions plastiques ne prennent corps que dans l’ambiance des tons, l’atmosphère chromatique créée.

Sur les quarante dessins accrochés, douze sont à l’encre de Chine : Le Parc, Tempête I, Tempête II, Paysage, Corolle, Cactus, Cocons, Paquets Congo, Masque .Trois autres dessins de la même encre, mais dans un style cursif, complètent la série : Mexico City, L’arbre reposoir I, et Cécile Armand, un portrait. Résolument, l’artiste jette de l’encre partout. Pour jeter l’ancre parmi nous !

Prudent dans ma quête, j’observe, de longues minutes, le modelé modulé de la Corolle, de petits traits arqués formant des boucles se répètent à l’infini selon une rythmique structurée pour produire une agréable onomatopée qui séduit mon regard. Cette poétique des lignes se retrouve surtout dans les deux seuls dessins au fusain exposés, Colombes et Arbres. Ah, une évidence! Corolles, Colombes et Arbres, des thèmes différents qui se manifestent, mais discrètement pour mettre en valeur la maîtrise  graphique du peintre. Cette discrétion thématique, une fois saisie, me laisse comprendre lors même que les cabris et les pigeons dans ses toiles ont eu les honneurs, et sur une courte période, de livrer le style Armand à une certaine clientèle, il est peu raisonnable de s’inventer une faune à laquelle on réduirait l’oeuvre de l’artiste sous prétexte de définir son champ thématique.

Pour finir, je fais quelques pas vers les dix aquarelles exposées et découvre un ensemble mesuré de lignes et de couleurs qui permet à l’artiste d’aérer l’espace en lui faisant don du charme de sa perception de la vie pour une beauté humainement élaborée.

Cette  exposition, qui devra se terminer le 7 juillet 2009, a lieu à exactement un an de la mort du peintre et constitue la toute première d’une série d’activités qui se poursuivront peut-être au Musée d’art haïtien dont l’artiste fut le conservateur pendant douze ans. Heureux de voir le public se souvenir de lui et partager les merveilles de son quotidien. C’est dire que la mémoire ne s’est pas totalement perdue en elle-même jusqu’à s’oublier.