Encore une année scolaire abrégée: des étudiants Haïtiens se font inscrire ailleurs

Nous sommes au Jeudi 25 février. Comme je l’ai fait chaque matin les jours de classe, je conduis ma fille à l’école. Généralement, je ne prête pas beaucoup d’attention à ce qui se dit à la radio préférant maintenir une conversation modérée avec elle. Ce matin-là, cependant, je lui ai demandé de faire silence et de faire attention à ce qui se dit à la radio. En fait on diffusait un reportage sur la vie de quelques centaines d’étudiants Haïtiens envoyés en Floride pour achever l’année scolaire court-circuitée en Haïti par le tremblement du 12 janvier1.

Elève de la cinquième de l’Ecole Elémentaire Silver Shore de Miramar en Floride, ce jeune compatriote, qui a fait l’expérience du tremblement de terre, est aujourd’hui orphelin de mère par suite du séisme.

(Photo de Hans Deryl / AP: 4 février 2010)

Une fois le reportage terminé, ma fille rompit le silence pour me faire part de son inquiétude sur le sort des autres enfants restés en Haïti. Pendant des semaines, elle avait vu à la télévision les images terrifiantes des villes touchées par le séisme. J’aurais bien voulu la réconforter en affichant un certain optimisme, mais ma réponse n’a été qu’une suite de mots vides et trébuchants.

Toute la journée, ma réponse et l’image de ces centaines de milliers d’enfants qui n’ont nulle part où aller et qui ne savent surtout pas s’ils reverront une salle de classe normale dans les prochaines années me hantèrent2. Encore une année de raté je ne cesse de me répéter, et faisant le compte je découvre que plusieurs années scolaires ont été tronquées pendant ces 25 dernières années.

De 1986 à nos jours, Haïti est devenu un pays qui semble avoir perdu le cap et qui se cherche. A la cacophonie de la vie quotidienne, sont venues s’ajouter des voix jadis étouffées, devenues avec le temps discordantes. Le départ de Jean-Claude Duvalier avait suscité une grande euphorie et un certain optimisme qui s’effritèrent bien vite.

Pour la majorité de la population qui s’attendait à des changements positifs, ce fut une lente descente aux enfers, alors qu’une infirme minorité tire d’énormes profits de la désastreuse situation avec la complicité ou de connivence avec des saboteurs étrangers qui se font imposer sur le terrain. De cette majorité devenue victime, les enfants sont les plus vulnérables. Certains sont carrément abandonnés par les leurs et l’État et viennent ainsi grossir le nombre de ceux qui, une fois appris les rouages de la rue, y mènent toute sortes d’activités.

Des enfants jouant près d’un camp de fortune à Port-au-Prince.

(Photo de Ramon Espinosa / AP: 1er mars 2010)

Avec les années académiques abrégées, les professeurs, même ceux des écoles réputées sérieuses n’arrivent pas à boucler leur programme. Bien avant le tremblement de terre, les parents qui pouvaient s’en payer le luxe n’hésitaient pas à envoyer leurs enfants à l’étranger ou simplement les inscrire dans une des écoles privées ou élitistes qui ont adopté le curriculum des écoles nord-américaines ou françaises3. Les autres assistaient impuissants à l’échec scolaire de leurs progénitures par suite de l’étouffement, de la faiblesse et de rapt du système éducatif haïtien. Le séisme ne fait qu’exacerber la situation.

Les centaines de jeunes compatriotes qui ont été pris en charge par les districts scolaires nord-américains se doivent de remercier le ciel et leurs parents. Espérons que ce privilège ne les transforme en petits monstres ou fait d’eux des snobs qui regardent de haut leurs anciens camarades obligés de vivre, deux mois après le séisme, dans des camps et dormir sous des tentes de fortune, constamment à la merci des intempéries et des possibles épidémies. Espérons surtout que, par leur conduite et leur application au travail, ils font honneur à leurs pays et en deviennent d’authentiques ambassadeurs.

J.A.

  1. Reportage de la NPR (National Public Radio) diffusé sur les ondes de la Radio de l’Université de Boston (WBUR) et ayant pour titre : « Florida Schools Take In Students From Haiti »
  2. Toutes les écoles ont été fermées même celles des régions non affectées. On parle de rouvrir les écoles dans les zones frappées durement par le séisme et de dispenser les cours sous des tentes.
  3. Quelques unes des écoles qui ne suivent pas le curriculum suggéré par le Département de l’Éducation nationale: Union School, Quisqueya Christian School et le Lycée Alexandre Dumas.