Des élections en Haïti? Quelle blague!

Un pays rongé avec une capitale entièrement détruite et où la grande majorité des habitants dorment depuis plus de dix mois sous des tentes, à la merci des intempéries ;

Un pays devenu complètement amoral et où fleurit de façon suspecte la criminalité sous toutes ses formes et où l’omertá semble être imposée ou adoptée par des citoyens en position d’autorité ;

Un pays malade, faisant face de surcroît à une épidémie de choléra et où tous les apprentis en aide humanitaire se ruent à son chevet sans toutefois arriver à trouver un consensus sur le type de remède à prescrire ou sur la dose à appliquer ;

Un pays contagieux aux yeux du monde qui fait fuir les touristes et les investisseurs mais qui inspire des écrivains et des éditorialistes de tous les coins du monde et fait le bonheur des pigistes ;

Un pays trahi par ses propres enfants qui s’allient parfois sciemment à ses ennemis pour l’enfoncer encore plus ;

Un pays trahi par des hôtes qu’il a pourtant accueilli les bras ouverts et qui finissent par se rendre maîtres des ficelles attachées aux marionnettes du pouvoir, tout en exacerbant les divisions existantes ;

Bref, un pays devenu vulnérable aux forces dévastatrices de la nature, aux épidémies et à toute invasion malicieuse d’étrangers.

Une protestation contre le gouvernement et les élections.
Photo prise le 24 novembre 2010
Photo Reuters

C’est donc ce pays qui veut organiser des élections présidentielles ce dimanche 28 novembre 2010 et où une pléiade de candidats(1), des politiciens traditionnels aux figures totalement inconnues du public, convoitent un des postes électifs. C’est à se demander si la majorité de ces candidats ont compris non seulement l’ampleur des problèmes sur lesquels ils auront à se pencher et appeler éventuellement à résoudre, mais aussi et surtout leur marge de manœuvre limitée par les grands décideurs internationaux qui n’ont pas l’intérêt des Haïtiens à cœur.

Certains n’ont jamais foulé le sol haïtien ; d’autres, participant à la valse de l’après-séisme, s’y sont arrêtés rien que pour quelques heures. Les autorités et le secteur financier en ont vu une opportunité et ils se sont empressés de transformer cette valse en instrument médiatique à leur propre profit.

Ce sont ces décideurs(2), ces autorités et ce secteur qui se démènent pour organiser « per fas et nefas » ces élections(3) . Ils n’ont pas cessé de réclamer à grands cris ces joutes, plaidant pour le maintien du calendrier, malgré les demandes de report venant de quelques candidats.

Quelle blague !

In illo tempore, le peuple en rirait bien, mais cette fois, exsangue, il ne peut même pas se montrer offusquer. Il n’a qu’un espoir : reconstruire. Il n’a qu’un désir : se reprendre en main et avoir un semblant de vie décente. Les candidats devraient commencer par leur dire concrètement comment ils entendent les aider et faire fleurir cet espoir ou combler ce désir. Ce n’est pas trop leur demander puisqu’ils courent après une position qui requiert de nombreuses qualifications, des compétences en gestion et des moyens.

La majorité des candidats vont aux élections les mains vides et la tête creuse espérant simplement la bénédiction des décideurs et promoteurs, prêts à faire les quatre volontés de ces derniers. Le peuple ! Ils n’en ont cure. Elus, ils continueront peut-être à leur dire : « Gade m nan je, m’ap gade w nan je ! »(4) , au lieu de leur dire essayons de regarder dans la même direction et de cheminer ensemble.

Les élections du 28 novembre prochain, quelle blague, mais une blague de très mauvais goût.

J.A.

  1. A la course présidentielle, 34 personnalités s’étaient inscrits, 10 ont été retenus le conseil électoral provisoire (CEP).
  2. « L’ambassadeur du Canada préconise la poursuite du processus électoral. » Radio Métropole. Publié le jeudi, 28 octobre 2010 [http://www.metropolehaiti.com/metropole/full_une_fr.php?id=18399] ; visiter le 23 novembre 2010.
    « Haïti-Élections/USA : L’ambassadeur américain encourage les Haïtiens à aller voter » Alterpresse. Publié le mercredi 24 novembre 2010 [http://www.alterpresse.org/spip.php?article10288]; visiter le 23 novembre 2010.
    « Le scrutin se tiendra comme prévu, assure le chef de la MINUSTAH » Radio Kiskeya. Publié le mardi 23 novembre 2010 [http://radiokiskeya.com/spip.php?article7257] ; visiter le 24 novembre 2010.
  3. Ces élections, la 7ème présidentielle, depuis la chute de Duvalier, permettront d’élire un président, de renouveler un tiers du sénat composé de 30 membres et l’ensemble de la Chambre des députés, soit 99 sièges.
  4. « Qu’on se regarde droit dans les yeux ». Du discours inaugural de René Préval le 14 mai 2006.