Nous nous souvenons…

5ans_seismeEn conversation avec un ami compatriote récemment, le sujet de la commémoration du 5è anniversaire du tremblement de terre du 12 janvier 2010 fut soulevé. Il nous a tout simplement conseillé d’oublier et, comme on dit dans le vernaculaire américain « To go on with our life ».

« Nous avions certainement surmonté les méfaits psychologiques de ce désastre, mais comment pouvons-nous oublier? », lui avions-nous répondu.

Non. L’Haïtien authentique qui, en cette funeste après-midi, avait une certaine conscience de la réalité, ne peut oublier, qu’il ait vécu personnellement l’expérience ou, résidant sur une autre altitude et longitude, reçut la nouvelle des médias, d’un parent, d’un ami ou d’une connaissance.

Aujourd’hui, comme hier, comme l’année dernière ou les années précédentes, nous nous souvenons.

  1. Nous nous souvenons de cette seconde où la nouvelle nous est parvenue. Nous venions de rentrer du travail. Incrédules d’abord, nous avions, dans les heures et les jours qui suivent, compris l’ampleur du désastre.
  2. Nous nous souvenons des premières images diffusées à la télévision ou distribuées par les agences de presse.
  3. Nous nous souvenons de ces moments d’angoisse quand essayant de rejoindre nos familles, nos amis et connaissances habitant les zones frappées, nous nous sommes heurtés à un silence morbide et effrayant.
  4. Nous nous souvenons du regard hagard et encore incrédule des compatriotes survivants et des interrogations qu’ils n’arrivaient pas à articuler logiquement, mais aussi de leur détermination.
  5. Nous nous souvenons de ceux et celles ensevelis sous les décombres, certains complètement méconnaissables et n’ayant pu avoir, pour comble de malheur, le droit à des funérailles décentes.
  6. Nous nous souvenons des amis, des anciens professeurs, de l’archevêque de Port-au-Prince, des religieux et religieuses catholiques, des fidèles et pasteurs protestants, des fidèles du vodou.
  7. Nous nous souvenons de ceux et celles que nous n’avons jamais eu la chance de rencontrer, mais dont les noms nous étaient si familiers parce que porteurs et porteuses de cette culture rayonnante ou embrassant de nobles causes. Ils étaient nos ambassadeurs de bonne volonté, nos porte-paroles, notre fierté.
  8. Nous nous souvenons de la solidarité spontanée du monde, des hommes et femmes de tous les champs d’action, croyances et allégeances politiques.
  9. Nous nous souvenons de ces journalistes courageux qui ont décrété la permanence pour nous informer. Nous nous souvenons des diffusions de Signal FM.
  10. Enfin nous nous souvenons de ces autorités pathétiques dont l’absence a été remarquée tout de suite après le désastre et, une fois émergées de leur cachette, n’arrivaient pas à se montrer à la hauteur en coordonnant les premiers secours.

Il faut dire que notre compatriote n’est nullement un cynique. Loin de là. Il est de ceux qui luttent encore avec ces souvenirs douloureux et qui pensent que les enfouir dans les tréfonds de leur subconscience est la solution idéale.

Nous avons choisi de nous souvenir non des édifices détruits qui pourront facilement être reconstruits, avec une bonne gestion, mais des personnes, capital irremplaçable. Nous nous souvenons pour rendre hommage aux survivants comme aux victimes. Nous nous souvenons pour également manifester notre foi dans notre pays, malgré sa misère et malgré le drame qui s’y déroule actuellement au niveau politique.

J.A.