Le responsable de nos malheurs, notre égocentrisme

egocentrismeNous sommes vraiment inquiets par ce qui se passe en Haïti ces derniers temps et questionnons surtout les solutions proposées pour endiguer ces crises à répétition. Nous refusons surtout de croire, comme certains, que ce petit pays est maudit.

Nous nous souvenons de la divagation de l’évangéliste américain, Pat Robertson, tout de suite après le séisme de 2010. Il voyait dans ce désastre une rétribution suite à un soi-disant pacte conclu avec le diable lors de la cérémonie du Bois-Caïman¹. Sans Bois-Caïman, l’adepte de l’idéologie de la suprématie raciale, Robertson, trouverait bien une autre raison qui défierait la logique, saperait les axes du message évangélique dont il se dit porteur, pour dire au monde que nous méritons bien nos malheurs.

Pourtant, il y a bien une raison qui explique notre situation: Un égocentrisme affectif et psychologique qui octroie une place démesurée à nos propres sentiments et vécus. Nous voulons optimiser notre efficacité sociale, économique et politique en ralentissant l’élan de nos compatriotes ou de ceux qui ne font pas partie de notre petit clan.

Par ce, nous faisons des choix qui ne cessent de faire le malheur du pays. L’un de ces choix réside dans le pacte conclu avec des étrangers moyennant leur support, oubliant ainsi que la majorité de ces étrangers ne nous a jamais pardonné l’audace militaire qui a conduit au 1er janvier 1804. Il nous suffit de nous rappeler les nombreuses tentatives des représentants de puissances d’alors pour nous subjuguer à nouveau et qui ont conduit à leur premier succès en ce jour fatidique d’avril 1825² où, se sentant acculés, nous avons accepté une ordonnance qui nous a affaiblis économiquement, qui a exposé notre vulnérabilité, laquelle a été exploitée pendant tout le 19è siècle³.

Il est vraiment lamentable de noter qu’au seuil de 21è siècle, nous nourrissons encore cette mentalité à la grande satisfaction des descendants des esclavagistes d’hier. Il n’est pas étonnant qu’en trois décennies Haïti ait connu des leaders politiques sans projet de société dont un grossier incompétent en 2011.

A ce point de notre histoire, il faut admettre en toute honnêteté que nous avons failli à notre mission de gardiens de cette indépendance non-octroyée mais conquise au prix du sang, en piétinant les idéaux de nos fondateurs qui se sont soulevés, affrontés les chiens de Rochambeau, le fer et les armes meurtrières de l’armée de Bonaparte pour nous laisser une nation libre et souveraine, un coin de terre où tous les expatriés d’Afrique auraient pu appeler fièrement la leur. Tant que nous ne revenons pas à ces idéaux, nos démarches peuvent bien profiter à un petit groupe, mais ne mettront jamais fin à nos malheurs et au dépérissement de l’environnement social et politique.

Pour ce, nous avons besoin d’un leader venant d’un moule différent, ayant une force de caractère, ferme mais attentif aux besoins de la grande majorité, qui se laisse guider en tout par le droit et qui impose surtout le respect. Il existe bien quelque part en Haïti, cet homme ou cette femme dont chaque action tendrait à l’amélioration de notre qualité de vie. Il se peut qu’il ne soit pas le plus vociférant dans les émissions de radio à sensation ou se mette à la tête des manifestations qui finissent souvent dans le sang.

Tant que ce leader ne s’émerge d’une conférence nationale ou de la réduction drastique des partis politiques, notre cher pays qui se prépare à célébrer le 212è anniversaire de son indépendance ne fera que patauger dans cette situation visqueuse avec toutes les conséquences que cela entraînera dans les prochaines années et sur les futures générations. Et des hommes de la trempe de Pat Robertson continueront à se servir d’élucubrations insipides chaque fois qu’il mentionne Haïti devant un auditoire acquis ou ignorant.

J.A.

  1. Bois-Caiman, une plantation coloniale située au Morne Rouge (Département du Nord) et où se déroule une grande assemblée d’esclaves sous la conduite de Boukman, un prêtre vodou. Ce fut le début d’une insurrection qui détruira le système colonial et culminera dans ce dimanche 1er janvier 1804.
    Voir: 14 août 1791
  2. L’ordonnance signée par le roi français Charles X le 17 avril 1825 qui réclama d’Haïti une indemnité de 150 millions de francs et oblige que les droits de port soient réduits de moitié pour les bateaux battant pavillon français.
    Voir: Le texte intégral de l’Ordonnance
  3. La Tentative d’extorsion de l’Espagne sur Haïti fut la première tentative d’exploitation de cette vulnérabilité.