18 mai 2016: Fierté, honte et inquiétudes

drapeau_20160518Nous sommes fiers de notre passé.
Nous avons honte de notre présent,
Et sommes terriblement inquiets de notre futur.

Voilà donc les sentiments qui nous animent en ce 18 mai 2016, 213 ans après le Congrès de l’Arcahaie. En ce temps-là, l’objectif des deux groupes longtemps antagonistes et majoritaires était clair: se défaire du système esclavagiste; un système basé économiquement sur l’exploitation à outrance de la majorité noire par une minorité blanche et métaphysiquement sur une théorie faisant des membres de cette majorité des sous-hommes.

Ils se sont unis, les noirs et mulâtres de Saint Domingue. De cette union éclata non une simple insurrection, mais une véritable lutte de survie. Et la décence triompha finalement sur l’iniquité.

Malheureusement, le geste de l’Arcahaie cachait mal les rancœurs du passé, surtout celles couvées après l’issue de la guerre civile de 1799-1800. Elles resurgissent peu de temps après la proclamation de l’indépendance, exacerbées par l’appât des propriétés appartenant jadis aux anciens colons dont les mulâtres se disaient les héritiers naturels. Dessalines, qui plaida pour un partage qui aurait tenu compte de ceux-là « dont les pères sont en Afrique »[1], paya cher sa politique de distribution des terres basée sur l’équité. Depuis lors, l’histoire du pays est parsemée d’acte de hautes trahisons, d’assassinats, de magouilles, de mépris de la majorité noire, ce qui, 112 ans après le Congrès de l’Arcahaie, nous a valu une occupation de fait pendant 19 ans suivie par une autre plus subtile.

Aujourd’hui, nous rappelant, les yeux fermés, de ce mois de mai 1803 et des six mois suivants, nous ne pouvons nous empêcher de nous laisser envahir par un sentiment de fierté, mais une fois écartées nos paupières, nous nous confrontons à nouveau au tableau de la dure réalité, et alors la honte nous assaille, suscitant du coup un sentiment de révolte devant la déchéance rapide de notre cher pays. Au fait, nos leaders et nos élites préfèrent se remettre entièrement au « blanc » au lieu de se rassembler autour d’une, de rechercher un consensus pour relever les défis, du moins les plus urgents de l’heure.

Pensons un moment à ce qui serait arrivé 213 ans plus tôt si Pétion, Dessalines, et Christophe se fiaient aux belles paroles de Napoléon et de ses émissaires à Saint Domingue, pour essayer de résoudre les problèmes de l’inhumaine grossièreté de l’esclavage et de la colonisation.

Le blanc d’hier n’est pas si différent de celui d’aujourd’hui. Il est aussi malicieux, aussi accapareur, aussi exploiteur, aussi raciste. Toutefois, les outils médiatiques dont ils disposent et qui sont également à notre portée, les codes de lois internationales, nuancées pour la grande majorité, rendent son approche différente et quelquefois diplomatiquement moelleuse. C’est à ce blanc que se fient aujourd’hui nos compatriotes pour élire leurs leaders ou simplement se pérenniser au pouvoir. Là où l’armée expéditionnaire du trio Bonaparte-Leclerc-Rochambeau, qui voulaient remettre nos ancêtres à genoux, avait échoué, l’internationale blanche, par ses organes, sa force de sécurité présente sur le terrain[2] et ses représentants qui agissent en vrai proconsuls, a réussi et parfois, pour une bagatelle, comme la non-révocation d’un visa. Le pire, c’est que nous ne voyons pointer à l’horizon aucun leader de la trempe de Dessalines, de Pétion et de Christophe qui ont pris tous les moyens possibles pour préserver l’acquis de 1804.

Alors que nos meilleurs cerveaux continuent de s’expatrier, nos paysans abandonner leurs terres faute d’encadrement parce qu’impuissants devant la concurrence déloyale des importateurs des produits agricoles, nos jeunes rêver d’un avenir à l’extérieur quand ils ne rejoignent pas des groupes de malfaiteurs, l’avenir du pays devient de plus en plus sombre; d’où nos inquiétudes.

Malgré tout, nous croyons encore au « miracle haïtien » et souhaitons que l’année prochaine notre texte, à l’occasion de la célébration du drapeau, sera imprégné d’une bonne dose de sentiments positifs et, pourquoi pas, d’orgueil.

En attendant, que Dieu nous aide à préserver ce qui reste encore du legs de nos ancêtres!

J.A.

  1. « Les noirs, dont les pères sont en Afrique, n’auront-ils rien? » Cité par Louis Joseph Janvier. Les constitutions d’Haiti (1801-1885), Tome I. Paris: C. Marpou et E. Flammarion, 1886.; p. 44.
  2. Une force de sécurité dénommée « Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti » (MINUSTAH) se trouve en Haïti depuis près de 12 ans. Établie pour aider le Gouvernement provisoire D’Alexandre-Latortue à garantir un climat de sécurité et de stabilité, elle s’est transformée depuis lors en véritable force d’occupation et contribue même à des situations dégradantes comme la ré-introduction de l’épidémie du choléra, la violation en série des de droits humains, les viols sur des enfants et des jeunes filles, et ce en toute impunité.