Hommes d’affaires réussis, piètres chefs d’état

Si dans un pays démocrate ou aux velléités démocrates l’accès à la première magistrature de l’état est accessible à tout citoyen respectueux de la loi moyennant certains requis civiques, moraux et une éducation solide, des membres de certains groupes, de par leur culture politique, leur vocation, leur état d’esprit sont généralement destinés à l’échec si jamais ils parviennent à cette position. C’est le cas des prêtres, des hommes d’affaires et de tous ceux aux égos exagérément disproportionnés.

Deux mois plus tôt, deux hommes d’affaires ont été choisis par l’électorat de leur pays respectif pour diriger, à titre de chef du pouvoir exécutif, ses destinées. Alors que l’un a déjà reçu l’investiture et s’est lancé, depuis lors, dans des actions ponctuées de controverses tout en affichant une arrogance écœurante. L’autre s’apprête à recevoir l’investiture le 7 février prochain sous un nuage de suspicions.

De tout cœur, nous espérons que ce dernier réussisse, car le bien-être de nos compatriotes, leur sécurité et le regain et la jouissance de notre souveraineté en dépendent. Mais, homme d’affaires, il aura à surmonter, s’il veut vraiment réussir, bien des obstacles, certains inhérents à son statut. Il devra surtout se démarquer des démarches obstructionnistes de son clan et des chambres de commerce, afficher surtout une éthique sans fard devant le peuple.

Toute une décantation!

En ce sens, nous ne nourrissons pas de grande illusions, car les hommes d’affaires qui ont très bien réussi font de piètres chefs d’état pour, parmi bien d’autres, les quatre raisons suivantes:

  1. Les hommes d’affaires font partie d’un monde bien particulier où les décisions sont motivées uniquement par la conquête économique et des intérêts purement personnels au détriment de ceux de la collectivité. La recherche du plus grand profit et au plus vite est leur objectif. Au timon des affaires de l’État, ils n’hésiteront pas à saboter les actions de leurs ministres conseillers si ceux-ci s’opposent à la poursuite de cet objectif. Pire, ils pourront même se lancer dans une destruction systématique des actions de leur prédécesseur qui avait finalement créer ou était sur le point de créer ce bien-être collectif. Évidemment, ils afficheront publiquement un certain intérêt pour le bien-être collectif.
  2. Les hommes d’affaires, parce qu’ils manipulent d’importantes sommes et pourvoient par nécessité des emplois, se croient puissants. Pour arriver à satisfaire leurs intérêts personnels ou ceux de leur clan, ils ne lésineront pas sur les moyens. Habitués à l’annihilation de leurs compétiteurs, à l’expatriation de leurs avoirs et de leurs industries sans aucun égard pour les vies saccagées par leurs actions, ils n’hésiteront pas à détruire les administrateurs qui limitent leurs avantages fiscaux, à se lancer dans des négociations contre les intérêts vitaux de la nation, appliquant ainsi la logique du marché.
  3. Les hommes d’affaires disposent de réseaux d’influence bien structurés. L’efficacité de ces réseaux explique bien souvent leur rôle décisif dans les processus de déstabilisation dont ils pensent tirer de grands profits ou quand ils découvrent l’amenuisement ou l’impuissance de leur représentation dans un gouvernement. Leur travail, directement, par des tiers ou à grands renforts financiers, consiste alors à saper au niveau national les actions du gouvernement qu’ils jugent hostile, et à alimenter au niveau international les réseaux affiliés de désinformation. Et ils ne se gêneront pas, quand leurs intérêts le dictent, de laisser tomber des alliés et amis, de supporter un despote.
  4. Il est pourtant rare que des hommes d’affaires qui ont vraiment réussis arrivent au timon des affaires dans notre pays. Louis Déjoie(1) en 1957, Thomas Désulmé(2) en 1990 et Dumarsais Siméus(3) en 2005 ont tenté leur chance. Généralement ils préfèrent se faire représenter par des personnes fiables dans un gouvernement. Il leur manque surtout cette ardeur aventureuse et ils sont dépourvus de scrupules patriotiques. En effet, une politique débouchant sur le succès exige une ardeur aventureuse, des scrupules patriotiques et une grande logique avec la compréhension des nuances. Par ces manques, l’homme d’affaire est incapable de capter dans toutes leurs dimensions les concepts de liberté, de légalité, de moralité et de bien-être collectif.

Le politicien honnête et patriote ne mettra jamais son pays en état de suspicion en prenant des mesures draconiennes, controversées voire illégales rien que pour satisfaire son égo ou pour s’imposer à l’avenir dans son champs d’action, tirant ainsi un profit strictement personnel d’une noble fonction.

A toute règle, des exceptions. Cependant, les exceptions à ces propos tardent à se manifester(4). Espérons qu’on les relèvera dans le nouveau président haïtien. Ailleurs, les espoirs (si espoirs il y en avait) se sont déjà effrités.

J.A.

  1. Louis Déjoie: Fondateur des « Etablissements agricoles et industriels », une compagnie produisant des huiles essentielles. Voir son profil à cette adresse: https://www.haiti-reference.com/notables/getperson.php?personID=I118&tree=Politique.
  2. Thomas Désulmé: Fondateur de Thermoplastics, une compagnie de produits plastiques basée à la Jamaïque.
  3. Dumarsais Siméus: Président de TLC Beatrice Food et propriétaire de la compagnie agro-industrielle Simeus Food International Inc. dans l’État du Texas, aux Etats-Unis.
  4. Tendances, Trends. « Ces Hommes D’affaires Qui Ont Conquis Le Pouvoir Politique. » Politique Economique – Trends-Tendances.be. N.p., mis en ligne le 9 novembre 2016. consulté le le 03 fév. 2017.

    Igor Martinache, « Hommes d’affaires en politique » Les comptes rendus, 2009, mis en ligne le 25 février 2009, consulté le 04 février 2017. URL : http://lectures.revues.org/731