De la gêne à la honte

Entrée de Guy Philippe et des insurgés à Port-au-Prince, le 1er mars 2004. Photo de Joe Raedle/Getty Images
Guy Philippe accueilli en héros à Port-au-Prince,
le 1er mars 2004.
Photo de Joe Raedle/Getty

Imaginez Guy Philippe entrant à Port-au-Prince à la tête de l’insurrection qui a précipité la décision de quelques membres influents de la communauté internationale d’orchestrer un second coup contre le président d’alors!

Imaginez-le, comme il était très courant durant les deux décades précédant l’occupation américaine, se présentant au Parlement haïtien pour recueillir ses lauriers et recevoir l’écharpe présidentielle!

Imaginez-le aujourd’hui croupissant dans une prison fédérale des États-Unis sous l’accusation de blanchiment d’argent provenant du trafic illégal de stupéfiants et passant aux aveux!

Un ancien président dans les geôles d’une grande puissance! Le pays et ceux qui l’ont supporté localement et internationalement sombreraient dans une lamentable honte s’ils ne souffraient pas de l’absence de ce sens, qui, comme le pensait le philosophe Grec Démocrite, demeure une garantie de la vertu. (Démocrite. Ethique, 235)

Passons maintenant de l’imagination à la réalité :

Guy Philippe arriva de la République Dominicaine et en bon opportuniste prit la tête d’une insurrection encore à ses premiers balbutiements au début de l’année 2004. Il reçut alors le support logistique et financier de quelques membres de la communauté internationale, du groupe des 184.

On peut facilement comprendre que la majorité des adhérents à ce groupe n’avaient aucune idée du passé de ce personnage, certains agissant en moutons de Panurge. Mais qu’on ne vienne pas nous dire aujourd’hui que les membres de la communauté internationale n’étaient pas au courant des transactions ténébreuses menées par leur allié, eux dont les services d’intelligence étaient des plus performants du monde. Ils l’ont simplement utilisé se réservant le droit de chantage un peu plus tard.

Guy Philippe se porta candidat à la présidence en 2006, et son dossier accepté par le Conseil Électoral provisoire (CEP) d’alors. Le peuple, dans sa sagesse fit peu de cas de cette candidature en lui octroyant seulement 1.92% des voix. Il revint à la charge en 2010 comme candidat au sénat, mais sa candidature a été jugée non-recevable par le Conseil Électoral Provisoire d’alors. A sa troisième tentative en 2015, son dossier fut accepté par le CEP et sa candidature maintenue quoique son nom ait été cité comme l’auteur intellectuel de l’attaque armée contre le commissariat des Cayes en mai 2016. À la fin de l’année, il est finalement élu sénateur de la République.

Qu’on ne vienne pas nous dire que l’organisme électoral ignorait le passé du candidat surtout après qu’un mandat d’amener eut été émis contre lui et qu’il ait vécu dans la maquis!

Sénateur élu, il fut cependant arrêté par des agents du Bureau de Lutte contre le Trafic des Stupéfiants (BLTS) le 5 janvier 2017 et transféré le soir même aux États-Unis. Le sénat de la République vota une résolution condamnant l’arrestation et exigeant son retour immédiat. L’attitude des pères conscrits ne nous avait point étonné alors sachant bien les motivations qui les ont poussés à courir derrière une telle position. Nous éprouvions alors nous, simples citoyens et observateurs attentifs des événements qui se déroulaient en Haiti, une certaine gêne cependant.

Aujourd’hui, après avoir appris que l’ex-insurgé a plaidé coupable, la gêne fait place à une insupportable honte. Cette honte qui ne résulte nécessairement pas de nos propres actions, mais d’actes de nos concitoyens en position d’autorité et supposé responsables (conseillers électoraux, parlementaires etc.); actes qui remettent en question notre intelligence, le respect des codes moraux, notre appartenance à une société de droit tout en suscitant de pénibles appréhensions dont la réalisation que nos représentants politiques deviennent ouvertement la risée des habitants des quatre coins du monde suite à leur irresponsabilité dans cette affaire. Nous nous sentons donc comme ces enfants qui savent bien que leurs parents sont des brigands mais qui éprouvent néanmoins cette sensation de honte quand ces derniers se laissent prendre en flagrant délit.

J.A.