Septième Symposium International Annuel sur la Spiritualité et Santé Mentale du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA) et de l’Université Notre-Dame d’Haïti (UDNH): 16-18 Juin 2017

Texte reçu le 16 juin 2017

Thème :

♦ Raviver la Résilience dans un pays traumatisé : Développer les compétences des personnes et consolider les capacités des communautés

∈∈ Propos d’introduction ∋∋


Chers participants,
Chers intervenants,

J’ai l’honneur et le privilège de vous souhaiter la plus cordiale bienvenue à ce septième symposium international sur la santé mentale et spiritualité de l’Université Notre-Dame (UNDH) du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA). En effet, ce symposium annuel international, qui se déroule, cette année encore, à l’hôtel Montana, en ce week-end du 16 au 18 juin 2017, inaugure une réflexion scientifique solide sur la dyade trauma-résilience, dans le contexte d’Haïti. D’où la formulation du thème : « Raviver la Résilience dans un pays traumatisé : Développer les compétences des personnes, consolider les capacités des communautés ».Dans un pays de catastrophes de toutes sortes : catastrophes climatiques, politiques, écologiques et psychiques comme Haïti, un colloque sur cette thématique arrive, bien évidemment, à point nommé.

Haïti, notre pays, est un pays marqué d’événements traumatiques massifs et soudains : catastrophes, cataclysmes, séismes, cyclones, accidents, violence, etc. C’est aussi une nation où les concitoyens sont continuellement confrontés à l’effroi, à des expériences de chaos et de mort, sont exposés, de façon répétée, à des contextes de vie destructeurs et avilissants. C’est un pays où nos enfants, clients privilégiés de CESSA, vivent des situations de maltraitance, des carences psychoaffectives et des négligences graves. C’est donc une communauté en danger continu, en proie aux souffrances extrêmes, en situation de menaces sérieuses internes et externes. Force est alors de conclure que le trauma, malheureusement, s’affirme dans de multiples registres de l’expérience haïtienne.

Puisque notre pays est en danger permanent, il est donc urgent de raviver la résilience, développer les compétences des personnes et consolider les capacités des communautés. Mais, il est essentiel d’abord et avant tout de se demander ce qu’est exactement la résilience, ce concept désormais incontournable dans le langage courant de l’Haïtien, et qui, aujourd’hui, envahit les salons des familles.

Résilience, qui signifie en anglais « rebondir », est cette capacité de reculer pour mieux sauter. Elle est ce processus de protection et d’élaboration qui permet à une personne de se développer et de se reconstruire après un traumatisme et/ou malgré l’adversité. Concept central de la psychologie positive, elle est le résultat d’un processus adaptatif d’une personne qui continue de s’épanouir, de maintenir un niveau de fonctionnement relativement stable et sain après avoir été exposée à l’adversité (Ehde, 2010 ; Kent & Davis, 2010 ; Pan & Chan, 2007). Elle est cette capacité à rebondir après une série d’événements à haute intensité dramatique. Sans oublier le champ de l’emprunt initial de ce concept : la physique et la mécanique, la résistance des métaux, la notion de résilience nous rappelle aussi la fable du Chêne et du roseau. Elle est ce mécanisme qui permet de « plier et de ne pas rompre, de résister sans courber le dos »

Ce processus exige non seulement l’activation de manière adéquate des modalités protectrices, mais aussi et surtout la mise à contribution des ressources relevant des capacités internes de la personne et des compétences externes à l’individu. Ainsi le processus de résilience (Arnaut, 2008) peut être appréhendé comme un phénomène multifactoriel, qui comprend, entre autres, des dimensions individuelles (caractéristiques de l’individu) et des dimensions socio-environnementales (communauté, milieu).

La littérature scientifique suggère que la résilience est un processus dynamique qui s’inscrit entre un axe intrapsychique ou subjectif et un axe intersubjectif ou communautaire. L’axe intrapsychique comprend :

  • La capacité de mobilisation des processus de pensée, d’élaboration et de mise en récit des sensations, émotions et perceptions consécutives au traumatisme
  • La reconnaissance de sa propre compétence et de sa propre valeur
  • La capacité de mobilisation de mécanismes adaptatifs (créativité, humour)

L’axe intersubjectif ou communautaire comprend :

  • La « trouvaille » de tuteurs de résilience dans l’entourage
  • La mobilisation des liens familiaux
  • La mobilisation des liens communautaires

Ainsi compris, si le travail de reconstruction, après un trauma, est certes essentiellement individuel, il est aussi fondamentalement communautaire, en ce sens qu’il doit prendre en compte la communauté comme repère stable au milieu du chaos et de la souffrance. La personne humaine, étant une personne de relation, il s’ensuit donc que par c’est par la communauté, avec la présence de sa communauté, aux côtés de sa communauté, et en retrouvant sa place au sein de la communauté, nonobstant la fracture engendrée au cœur de la communauté, qu’elle peut traverser l’adversité. C’est donc une précaution ou une attention à ne pas inscrire la résilience dans le seul chef du sujet en situation mais de l’envisager, de manière systémique, avec sa communauté.

La littérature scientifique démontre que la dimension communautaire ou l’élément de solidarité est ce qui permet de grandir d’une expérience de vie extrêmement pénible. Si l’événement traumatique coupe d’avec la communauté, ébranle les certitudes de base, perturbe les sentiments de confiance et de sécurité, installe des sentiments de honte, de désespoir et d’oubli, l’un des secrets pour traverser l’épreuve avec succès et retrouver une certaine maitrise de sa vie et la relation, est la réunification d’avec la communauté. En effet, la communauté est le lieu de départ du processus de restauration. Elle offre le contexte, les infrastructures physiques et émotionnelles de la réinvention de la vie. Elle permet de faire face à l’adversité. Elle garantit contre le stress post-traumatique et se révèle être un facteur clé pour la résilience. De nombreuses études documentent que les personnes qui sortent plus vite du traumatisme sont celles qui ont été le mieux soutenues par leurs communautés (Guedeney, 1999). D’où la nécessité pour la personne traumatisée de disposer d’une communauté bienveillante.

Ce symposium, certes, est une invitation à chaque Haïtien, dans ce contexte marqué par la perte des repères stables, dans ce système pétrifié par le trauma, à retourner chercher dans la stabilité des liens antérieurs, la force de poursuivre le chemin, d’identifier et de mobiliser ses ressources intrapsychiques pour écrire et réécrire en lettres de lumière son aujourd’hui et son demain.

Il faut tout de suite préciser qu’il ne s’agit pas ici d’un appel à l’individu à nier les événements traumatiques, comme si rien ne s’était passé, mais bien plutôt d’un appel à la mise en sens des vécus traumatiques, d’une intégration de l’expérience, de l’attribution de sens aux blessures en vue de parvenir à leur transformation.

Ce symposium est non seulement un appel à chaque personne de développer ses compétences mais aussi et bien plus encore une provocation pour chaque communauté de consolider ses capacités. Fort de cette conviction communautaire, parallèlement à la prise en charge individuelle mise en place depuis six ans par CESSA, cette année, le Centre développe d’autres stratégies thérapeutiques plutôt communautaires comme : thérapie de groupes, accompagnements de familles, développement professionnel des enseignants qui s’inscrivent dans une vision de construire et de se relever en communauté.

Ces initiatives communautaires, particulièrement au profit des établissements scolaires et des organisations de la société civile, comportent une variété de services psychologiques offerts à l’intention des enfants traumatisés et vulnérables de plusieurs écoles de Port‑au‑Prince, telles que : École St Gérard, École Esther Honorat, École Nationale de Tabarre, École Notre‑Dame de l’Assomption, Institut Montfort pour enfants sourds de Croix des Bouquets, Écoles Notre‑Dame du Perpétuel Secours, Marguerite Naseau et Sainte Louise de Marillac de Cité Soleil; et au bénéfice de diverses institutions du pays, comme Maison des Enfants de Nazareth (MEN) à Carrefour, Centre d’Éducation Chrétienne, de Formation et d’Orientation Professionnelle (CECFOP) au Bel‑Air, Fondation Limyè Lavi (FLL) à Jacmel, et Organisation Haïtienne pour le Développement Durable (OHDD) à Petit Goâve.

Enfin, il est heureux de souligner que ce symposium de 2017 demeure un événement collectif regroupant des collaborateurs et des représentants des membres de l’éducation, de la communication, de la santé, de la psychologie, etc. Il est organisé en collaboration avec des centres de traitement comme les Meadows de Arizona, des associations internationales telles que le Global Adolescent Project, des centres universitaires des États-Unis, du Canada, des institutions du pays comme l’Association pour la Prévention de l’Alcoolisme et Autres Accoutumances Chimiques (APAAC), le Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA), et l’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH). Il est donc question ici de continuer à renforcer une éthique de l’entraide, de reconnaitre et de célébrer l’interdépendance entre les institutions d’une même communauté. Cette initiative de collaboration inter-institutions célèbre la richesse de la diversité, encourage la mutualisation des ressources et scelle l’urgence de création de réseaux.

Ce symposium annuel de CESSA, devenu désormais incontournable dans le paysage universitaire et professionnel haïtien, couronne toute une série d’activités académiques et de services communautaires développés tout au long de l’année 2016-2017. Ces initiatives académiques organisées au bénéfice des étudiants, des jeunes psychologues, et des leaders du pays, et dont le symposium est le sommet, incluent, entre autres, un séminaire sur la thérapie de groupe, en novembre 2016, une session sur la supervision de thérapie de groupes, en avril 2017, un week‑end (du 2 au 4 juin 2017) de formation sur le traumatisme.

Dans ce symposium annuel, différentes voix au niveau national et international seront entendues, des réflexions et des points de vue de diverses institutions nationales et internationales seront exposés. Cependant, il est important, d’entrée de jeu, de signaler que les résultats significatifs des recherches et les points de vue divergents présentés au cours de cette assise scientifique n’engagent que leurs auteurs et ne représentent en aucune manière la position officielle de CESSA, ni celle de la Province Montfortaine d’Haïti ni celle de l’Université Notre‑Dame d’Haïti.

En clair, cette initiative scientifique encourage la solidarité active entre les institutions pour inventer et partager les nouveaux modèles d’intervention thérapeutiques pratiques, en vue d’aider notre pays à se relever et à fleurir au cœur de l’adversité. Elle promeut la création stratégique de réseaux pour développer les compétences des personnes et consolider les capacités des communautés. Elle stimule la mise en réseau intelligente des outils et des techniques pour améliorer la qualité de la santé des personnes et des communautés. Elle intensifie le dialogue productif entre les institutions de santé mentale pour la mise en place des structures pérennes de restauration de la vie.

Continuons, après ce symposium, et de façon continue, ce dialogue dans l’appréciation et la valorisation des différences.

Révérend Père Wismick Jean-Charles, SMM, PhD.
Vice-recteur aux Affaires Académiques et Scientifiques
De l’Université Notre Dame d’Haiti (UNDH)
Et Directeur Général du Centre de Spiritualité et de Santé Mentale (CESSA)